Ubérisation !
Voilà un mot barbare et étranger à vos oreilles il y a 3 mois et que vous avez entendu et lu 63 fois depuis quelques semaines. C’est ce qu’on appelle un buzzword.
Qu’est ce qu’il désigne ? L’arrivée disruptive de nouveaux entrants, 100% digitaux (comme le seront tous les futurs « nouveaux entrants »), qui viennent bousculer les règles du jeu d’un marché, d’une industrie.
Pourquoi disruptive ? Parce que souvent, vous ne l’avez pas vu venir, vu qu’elle provient d’un acteur qui n’opérait pas jusque là dans votre secteur ou qui n’existait même pas, et que vous n’aviez donc pas dans votre contrôle radar… Disruptive aussi parce que les conséquences de l’arrivée de ce nouvel acteur sont importantes et fulgurantes. Un peu comme la disrup…euh pardon l’éruption d’un volcan.
Et si ce mot, vous l’avez lu ou entendu 63 fois, votre patron, qui reçoit sa revue de presse personnalisée et est peut être encore plus attentif que vous à la presse économique et stratégique, lui, l’a lu et entendu 184 fois. Conséquence : il s’inquiète, convoque des réunions exceptionnelles pour mettre en place une stratégie de contre-attaque plus ou offensive, mais plus souvent défensive. Comme s’il fallait résister contre cette invasion. Et si dans ce contexte, il faut en effet (ré)agir vite, il ne faut pour autant pas confondre vitesse et précipitation.
La 1ère étape face à l’ubérisation de l’économie, c’est déjà essayer de comprendre de quoi il s’agit.
Est-il simplement question de digitalisation ?
La 1ère révolution Internet a eu lieu dans les années 2000. Après l’explosion de la bulle Internet autour d’une nouvelle technologie que nous n’envisagions que comme un outil, les entreprises se sont intéressées à capitaliser sur les nouveaux usages que pouvaient en faire les consommateurs et toutes ont développé leur interface web (outil de communication), puis leur plateforme de vente (e-commerce). Certains petits malins comme Venteprivée ont compris que le web permettait de décloisonner les frontières des marques et ont créée des centres commerciaux en ligne, mieux connus sous le nom de marketplace. Et voilà comment des géants de l’industrie textile comme la Redoute ou les 3 Suisses ont bien failli se faire ubériser avant tout le monde. Ils ont tout d’abord pris leur temps pour passer du magazine papier à l’interface digitale, mais ils se sont attachés au support numérique plus qu’ils n’ont essayé de jouer sur les leviers que le digital permettait. D’autres sont allés encore plus loin dans la logique de l’ouverture : une fois acceptée la cohabitation sur une même plateforme de marques concurrentes, pourquoi ne pas ouvrir encore plus les frontières et laissé rentrer l’individu, le particulier et ce qu’il a à offrir : c’est ce que fit Amazon, PriceMinister, etc.
Car si les « Uber » sont évidemment des acteurs digitaux ou des pure players, il est intéressant d’aller au-delà de cette observation pour comprendre ce que la majorité des « Uber » ont en commun… et force est de constater, grâce à ce schéma synthèse ci-desous, que la majorité partage une forte dimension collaborative, c’est à dire, l’intégration des parties prenantes externes de l’entreprise dans sa chaîne de valeur et en particulier le consommateur, qui n’est plus une cible marketing mais bien un levier potentiel à votre croissance.
La 2ème étape consiste à changer ses façons de travailler
Face au rythme croissant des progrès technologiques et des cycles d’innovation, on a tendance à se précipiter et ce faisant à passer à côté de l’essentiel. Sans compter qu’on s’engage ainsi dans une course effrénée, avec souvent un métro de retard. Face à l’ubérisation, on se dit qu’il faut accélérer sa transformation digitale et de façon caricaturale, on se transforme en s’équipant en outils digitaux. Et qui dit transformation pense réorganisation, création de nouveaux départements et nomination de « directeur du digital », « directeur de l’innovation », etc. Les plus avancés vont parfois jusqu’à créer une veille autour de l’économie collaborative, secteur croissant du fait de l’explosion du numérique. C’est cependant un mauvais réflexe. Quand on parle de transformation des entreprises, cela suppose de changer leur façon de travailler, souvent pour faciliter les collaborations, casser les silos et créer de la transversalité. Et vouloir penser un nouvel organigramme, c’est souvent déplacer les silos mais pas les éliminer. Le digital nous montre que les circuits et les structures sont aujourd’hui horizontaux bien plus que verticaux et si les startups s’en sortent mieux aujourd’hui dans cette économie digitalisée, ce n’est pas tant du fait qu’elles sont moins « hiérarchiques » que le fait qu’elles gèrent leur projet de façon plus horizontale. Alors vous me direz qu’in fine, c’est la même chose ou sensiblement. Ce n’est pas faux, mais vouloir initier votre transformation digitale par une réorganisation c’est ne pas comprendre l’ADN de ce que permettent les outils numériques et c’est accessoirement perdre tout le temps qui sera nécessaire à votre réorganisation : définition de la nouvelle structure, adaptation des équipes, réglages du nouveau dispositif…. Ce qui fait que pendant tout ce temps, vous n’avez pas avancé sur votre marché ni par rapport aux « Uber potentiels » de votre secteur. Attachez-vous à transformer vos modes de fonctionnement, vos gestions de projets et des équipes, car les métiers aussi se font ubériser comme le montre ce 2ème petit schéma de synthèse.
L’adaptation de la structure (changement d’échelon hiérarchiques, de statuts, de titres, etc.) viendra dans un second temps…et avec un peu de chance, se fera beaucoup plus naturellement. Changez de paradigme, on vous dit. N’essayez pas d’appliquer les vieilles recettes avec des nouveaux ingrédients. Ca ne marchera pas.
Dans l’économie digitalisée, il faut être agile et rapide, adopter des circuits courts. Qui dit circuits courts, dit raccourcis et qui dit raccourcis dit ne pas passer par les mêmes chemins et monter aux étages hiérarchiques. Donc en créer de nouveaux aux intitulés plus modernes ne fera pas avancer le schmilblick.
Ceci étant dit, cette transformation managériale n’est pas chose aisée et nécessite – au niveau des dirigeants, managers intermédiaires et collaborateurs – beaucoup de travail mental pour accepter de nouvelles responsabilités tout en lâchant prise sur certaines positions de pouvoir, comme ouvrir et libérer l’information pour mieux la partager avec toutes les parties prenantes concernées.
Et ce changement de mentalité en interne est applicable en externe avec vos fournisseurs, prestataires et clients : phosphorez avec eux plutôt que de les « diriger / commander ». C’est la vraie révolution que permet le digital et qu’ont compris les Uber, AirBnb et cie. Ces derniers n’ont pas essayé de se constituer une flotte de chauffeurs ou hôtes qu’ils pouvaient « contrôler ». Ils se contentent de se faire l’intermédiaire entre une offre et une demande. Dans votre entreprise et son écosystème proche, facilitez la rencontre entre celui qui a besoin d’une solution et celui qui peut apporter une réponse, sans se soucier de son titre, département, grade, etc…
La 3ème étape consiste à développer une proposition de valeur adaptée aux nouveaux usages de vos clients
Ce n’est qu’une fois que vous aurez compris et pratiqué le mode collaboratif que vous serez à même de proposer une offre de service à forte valeur ajoutée aux consommateurs qui sont de plus en plus nombreux à pratiquer l’économie collaborative. Ce billet serait trop long si je vous communiquais tous les chiffres disponibles sur cette nouvelle économie et mode de consommation. Je me contenterais donc de vous en communiquer un seul, extrait d’une étude PwC sur la consommation collaborative : + de 2200% de croissance annoncée entre 2013 et 2025. Evidemment, tous les secteurs ne sont pas également impactées par le tsunami collaboratif. Si vous évoluez dans un marché mature (hébergement, mobilité, alimentaire, ameublement, loisirs, consommation courante) alors il est grand temps de vous y mettre. Si vous évoluez dans un secteur moins impacté (énergie, santé, gros œuvre), anticipez, ce sera toujours ça de pris quand ça vous arrivera.
Certaines entreprises pourraient être tentées de sauter la 2ème étape pour directement essayer de prendre des parts de marché dans le secteur collaboratif en essayant de devenir eux-mêmes des Uber. Pourquoi pas ? C’est ce qu’a fait Castorama il y a quelques années en lançant Troc’Heures, plateforme de partage / réseau social d’entraide et bons plans entre bricoleurs. Mais cela n’a pas marché et de l’aveu de sa directrice générale Véronique Laury, cela tient au fait qu’ils n’avaient pas assez préparé les équipes en interne, qui n’avaient alors pas su valoriser l’initiative.
Sans compter le fait que vos collaborateurs qui progressivement gagnent en marge de manœuvre, écoute et considération en tant que consommateurs ne tarderont pas à vouloir le même degré d’attention et respect au sein de leur entreprise. L’immobilisme de la plupart des entreprises face à ces évolutions se traduit d’ailleurs aujourd’hui par un taux d’engagement des salariés français le plus faible d’Europe et qui avoisine celui de pays comme la Syrie ou Haïti (9% d’engagés, 68% de désengagés et 23% de désengagés actifs, comprendre saboteurs selon le dernier rapport Gallup). Pas certaine qu’il soit opportun dans ce contexte économique morose et ultra)concurrentiel de continuer à compter que sur à peine 1/10 de ses collaborateurs.
Sans compter non plus sur le fait que les générations Y et Z représenteront plus de 75% de la masse salariale en 2025 et que pour le coup, c’est sûr, les entreprises ne risquent pas d’attirer les jeunes talents digital natives en maintenant des procédures lourdes, des organisations hiérarchiques pesantes.
Si l’innovation au service de l’utilisateur est le moteur de votre croissance, il doit être aussi le moteur de votre gestion d’entreprise.